Toxicité de l’irgarol pour les huîtres du bassin d’Arcachon

Assemblée nationale – XIIIe législature
Session ordinaire de 2010-2011
Compte rendu intégral – Première séance du mardi 7 décembre 2010

Question orale sans débat

Toxicité de l’irgarol pour les huîtres du bassin d’Arcachon
Mme la présidente. La parole est à M. François Deluga, pour exposer sa question, n° 1195.
M. François Deluga. Je souhaite appeler l’attention de Mme la ministre de l’écologie sur la présence croissante d’irgarol dans le bassin d’Arcachon et sur la menace qu’elle représente pour la qualité des eaux et l’ostréiculture.
La fin du test dit « de la souris » représente une grande avancée pour les ostréiculteurs. Après quatre ans de bataille, le ministère de l’agriculture a supprimé ce test pour le remplacer par un test chimique que les professionnels et les élus réclamaient à cor et à cri. Depuis la mise en place de ce test fiable, une seule fermeture a été prononcée contre une vingtaine précédemment, ce qui démontre que les précédentes fermetures étaient infondées.
Cette victoire ne doit pas nous faire oublier que c’est aujourd’hui le manque de naissain et la mortalité massive des jeunes huîtres qui mettent en danger toute l’ostréiculture. En effet, depuis 2008, les mortalités d’huîtres juvéniles sont importantes. L’herpès virus OsHV-1 est certes identifié depuis longtemps, mais il est loin d’expliquer toutes les mortalités estivales.
En 2009, les analyses réalisées par le Réseau de recherche littorale aquitain dans le cadre du programme ASCOBAR ont mis en évidence la présence de molécules indésirables dans l’eau et surtout d’irgarol dans les huîtres du bassin d’Arcachon. L’irgarol est un biocide pesticide algicide puissant, intégré dans les peintures antifouling. Dans les milieux où l’eau est peu renouvelée, comme dans le bassin d’Arcachon, l’effet algicide de l’irgarol peut avoir des impacts directs importants sur le phytoplancton et sur la chaîne alimentaire. Or, comme le démontrent les résultats d’ASCOBAR, si l’irgarol est peu présent dans les huîtres du secteur océanique, il est en revanche fortement détecté en zone interne dans les huîtres. Certes, il reste encore en dessous des seuils sanitaires, mais sa présence est en croissance forte et continue.
La commercialisation de ce composé pose problème depuis plusieurs années. Le 2 octobre 2007, il était déjà alarmant d’entendre Mme la secrétaire d’État chargée de l’écologie indiquer que ce type de produit « potentiellement toxique » n’était « pas encore soumis à autorisation de mise sur le marché en France », ce qui signifiait « assez curieusement qu’il pouvait être librement mis en vente sur le territoire ».
Aujourd’hui, l’interdiction de ce composé des peintures antisalissure s’impose. Il ne s’agit évidemment pas de mettre en cause la plaisance : la réussite de la cohabitation entre toutes les activités du bassin dépend au contraire de la résolution de ce type de problème, qui ne fait qu’exacerber la tension entre utilisateurs et professionnels de la mer.
Pour ces raisons, au nom du principe de précaution et au vu des résultats scientifiques, je vous demande de bien vouloir interdire la commercialisation et l’utilisation de l’irgarol dans la composition des peintures antisalissure.
Mme la présidente. La parole est à M. Benoist Apparu, secrétaire d’État chargé du logement.
M. Benoist Apparu, secrétaire d’État chargé du logement. Monsieur Deluga, vous avez appelé l’attention du Gouvernement sur les questions que soulève l’utilisation de l’irgarol, substance qui entre dans la composition des peintures antisalissure destinées aux coques des bateaux, et notamment sur les effets néfastes qu’elle peut exercer sur la faune et la flore marines, en particulier sur les huîtres du bassin d’Arcachon.
Vous le savez mieux que moi, au milieu des années soixante-dix, les peintures utilisées étaient à base de composés dont il a été prouvé au cours des années quatre-vingt-dix qu’ils causaient des ravages sur la reproduction et la croissance de divers organismes marins. Cette découverte a conduit à l’adoption de réglementations au niveau communautaire et international, visant à interdire les peintures à base de ces composés. C’est alors que des molécules de substitution, dont l’irgarol, sont apparues.
Cette substance est aujourd’hui suspectée, en raison de son écotoxicité importante pour les micro-algues, de menacer le phytoplancton et d’induire des perturbations endocriniennes chez les huîtres et chez d’autres organismes invertébrés.
Vous le savez, son utilisation, puisqu’il s’agit d’une substance dite biocide, est encadrée par une directive communautaire. Aux termes de cette directive, seuls sont autorisés les produits disposant d’une autorisation de mise sur le marché. Or, parmi les conditions d’attribution d’une autorisation à un produit, il faut que les substances actives qu’il contient figurent sur une liste de substances autorisées au niveau communautaire après évaluation des risques.
Les Pays-Bas évaluent actuellement l’irgarol afin de décider s’il doit être ou non inscrit sur la liste communautaire. Ce travail s’effectue sur le fondement d’un dossier déposé en avril 2006 par la société CIBA. En 2007, nous avons prévenu les autorités néerlandaises des préoccupations que nous inspirait cette substance. En 2008, ces autorités étaient sur le point de déposer un rapport d’évaluation soulignant les risques de perturbations endocriniennes.
Des discussions approfondies se sont finalement tenues entre CIBA et les autorités néerlandaises, qui, afin de lever définitivement le doute, ont demandé à cette société de produire une batterie de tests complémentaires. Ces tests ont été réalisés, et leurs résultats communiqués début novembre ; ils sont en cours d’examen par les autorités concernées, qui transmettront leur rapport d’évaluation à la Commission européenne au cours des tout prochains mois.
De son côté, et afin de définir sa position sur cette substance, le Gouvernement a demandé à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail d’expertiser à son tour ce dossier.
Il est par ailleurs intéressant d’observer que la société BASF, qui a repris le dossier relatif à l’irgarol depuis la récente cession d’actifs de CIBA, ne défendrait l’utilisation de cette substance que pour le carénage des gros navires, ce qui exclurait ses applications privées, destinées à des navires de plaisance. Nous ne pouvons que nous en féliciter de cette initiative, et j’espère que BASF la concrétisera dans les meilleurs délais par une mesure d’étiquetage obligatoire et prescriptif, que nous envisageons d’imposer par voie réglementaire dans le cas contraire.
Notons enfin qu’en complément du dispositif d’encadrement découlant de l’application de la directive dite « biocides », la Commission européenne pourrait proposer d’ajouter l’irgarol, entre autres substances, à la liste annexée à la directive cadre de la loi sur l’eau ; cette liste énumère les substances qui doivent faire l’objet d’un suivi dans l’eau, et, le cas échéant, d’un programme de réduction. Le gouvernement français soutient cette démarche.

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